Indie Game: The Movie aurait pu être un documentaire passionnant s'il avait réellement mis en perspective son propos, donné de véritables informations sur la création d'un jeu, et choisi des sujets moins connus, moins aidés, plus en proie à la difficulté de créer que Blow, Fish, et McMillen. Mais il n'en est rien, puisque nous nous retrouvons uniquement avec un film sans cohérence, sans sujet et dépourvu de toute information intéressante ou nouvelle.
De surcroît, on tombe carrément dans la propagande grossière tant les amalgames et les clichés sont nombreux (sur les grosses productions, sur le côté "artistique" d'un jeu... etc). On en vient presque à se demander si ce film n'est pas qu'un produit "commercial" tellement on nous rabâche que l'Indie Game (qui, rappelons-le, est aujourd'hui en train de devenir plus une étiquette marketing pour vendre qu'un véritable gage de qualité, sinon tous les jeux de l'AppStore seraient depuis bien longtemps des tueries profondes et artistiques...) est le seul jeu vidéo libre et véritable. Cela en devient presque ironique quand on se rend compte que le documentaire n'aborde seulement que trois jeux très connus qui ont été largement diffusés à travers le monde avec de très gros moyens (XBLA, Steam, conventions, grande couverture médiatique...), et qui possèdent un merchandising très présent (cf. le prix moyen d'une peluche Meat Boy), et que dans la seconde d'après, on nous moralise sans jamais prendre de gants sur les aspects "uniquement" commerciaux des jeux "non indépendants". Ben voyons.
"La création d'un produit commercial est à l'antipode de créer quelque chose de personnel." Jonathan Blow
Être peu sur un jeu avec peu de moyens, comme on peut l'être sur un film ou tout autre forme d'expression, ne modifie en rien sa qualité. Quand on voit que des équipes de 400 personnes sont traitées de robots sans âmes, juste parce qu'elles disposent de gros moyens, on se demande si ce documentaire nous propose réellement de donner un visage humain au jeu vidéo... C'est d'un tel mépris pour leurs confrères et tant de talents. Si encore les Kojima, Ueda, Suda51, les frères Houser, Chahi et tant d'autres n'existaient pas, ok, Phil Fish serait peut-être le seul véritable artisan du jeu vidéo de la Terre. Mais non. De plus, des jeux ambitieux comme la série des Elder Scrolls ou le dernier jeu prometteur de cet E3, Watch Dogs (qui a l'air de proposer un univers cyberpunk contemporain incroyable et un propos fort), ne peuvent pas se faire avec une équipe de une, deux ou trois personnes. Pourquoi toujours vouloir réduire ce qui est large tant que les développeurs, qu'ils soient mille ou seul, s'investissent totalement pour nous faire de bons jeux ? Bien sûr, il y a toujours le problème de la pression des éditeurs, des actionnaires, de l'argent... mais ces derniers les connaissent aussi, en usant de partenaires comme Microsoft. D'ailleurs, si leurs jeux étaient polémiques et loin d'être grand public, allez savoir s'ils auraient eu autant d'aides et de succès...
Mais bien sûr, que le propos du film soit loupé, n'est pas le plus grave, étant donné que de toute façon, il n'en a pas. En effet, les réalisateurs ont jugé meilleur de nous bassiner de portraits et d'images larmoyantes de ces créateurs tout le long (mention spéciale à Phil Fish). Alors je ne sais pas si c'est pour faire pleurer dans les chaumières, leur donner un côté artiste maudit et faire l'amalgame courant "incompris=art" ou pour faire de belles images, mais c'est lourd, plein de pathos et surtout totalement inintéressant. Bien sûr que recueillir les motivations d'un créateur, ses inspirations, sa biographie, ses messages, est viable et nécessaire, mais le documentaire ne le fait presque jamais (excepté peut-être quelques secondes par-ci par-là) et nous présente ces auteurs sur leur plus beau jour: celui de simples pervers narcissiques, présomptueux, et frustrés. Par exemple, la façon avec laquelle Fish intériorise tout et crache sur le reste du monde est totalement mégalo et maladive. Alors, c'est probablement un grand pan de sa personnalité, mais est-ce réellement intéressant à voir, pour lui comme pour nous ? est-ce exactement ce à quoi prétendait ce documentaire ? est-ce vraiment de l'information ? La réponse est encore une fois clairement non.
Phil Fish qui exagère un peu les chiffres de l'équipe qui travaillait sur Red Dead Redemption...
La forme aurait pu au moins être réussie si cette dernière n'était pas hyper prétentieuse avec un tas de plans aussi inutiles qu'hors sujet (sérieusement, mis bout à bout, ils doivent constituer au moins une demi heure du film), et la chronologie aussi bizarre, avec ses espèces de va et vient dans le temps totalement injustifiés.
Bref, nous sommes bel et bien face à la pire forme possible de journalisme et de film documentaire, celui juste grossier et malhonnête, sans nuances et sans visée, dont le succès reposera entièrement sur son sujet. Il en vient donc un besoin vital de s'interroger sur ce qu'est vraiment cette étiquette que le "Indie Game" et ses pièges marketing, et de commencer à déconstruire une idole... pour le bien de cet art riche qu'est le jeu vidéo, et je parle bien de tout le jeu vidéo.
(Bon par contre, le héros de Fez est vraiment trop mignon, il faut l'admettre. <3)